Plainte contre Kabila: que retenir des poursuites judiciaires contre un ancien Président de la République ?

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L’Évêque Pascal Mukuna, a finalement déposé une plainte contre Joseph Kabila. L’initiateur de « l’Eveil patriotique » reproche à l’ancien président congolais, notamment :
-L’exécution extra judiciaire de manifestations et kulunas;
– Le massacre de Kamuina nsapu ;
-L’exécution sommaire des adeptes de Bundu Dia kongo etc…

Le dépôt de cette dénonciation par ses avocats, a suscité un débat sur la compétence de la cour constitutionnelle. Mais aussi quant à l’issue de poursuites judiciaires contre Joseph Kabila. Ce, au regard de loi de 2018 portant statut des anciens présidents.

Nous tentons dans les lignes qui suivent de rencontrer ces inquiétudes.

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De la compétence de la cour constitutionnelle

En droit pénal constitutionnel congolais, le juge constitutionnel est le juge pénal du Président de la République pour les infractions de haute trahison, atteinte à l’honneur…et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.
C’est ce qui ressort de la lecture des articles 164 de la constitution et 72 de la loi de 2013 sur la cour constitutionnelle.

La décision de poursuite et la mise en accusation du Président de la République est votée à la majorité de deux tiers des membres du parlement composant le congrès suivant la procédure prévue par le règlement intérieur du congrès.

C’est ce que dispose les articles 166 de la constitution et 80 de la loi de 2013 sur la cour constitutionnelle et 58 du règlement intérieur de la cour constitutionnelle.

Pour siéger et statuer sur la poursuite et la mise en accusation du Président de la République, le congrès doit être au préalable saisi par le procureur général près la cour constitutionnelle par soit une requête aux fins d’autorisation de poursuites du Président de la République, soit une requête aux fins d’autorisation de mise en accusation du Président de la République.

C’est ainsi donc que les articles 119 de la constitution et 3 du règlement intérieur de l’actuel Congrès, reconnaissent au congrès la compétence d’autoriser la poursuite et la mise en accusation du Président de la République. Ce, après avoir été saisi par le procureur général près la cour constitutionnelle ( article 38 du règlement intérieur du congrès).

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De la poursuite d’un ancien président de la République élu

Dans sa section 3 paragraphe 2, l’article 8 de la loi n°18/021 du 26 juillet 2018 portant statut des anciens présidents de la République dispose:

« Pour les actes posés en dehors de l’exercice de ses fonctions, les poursuites contre tout ancien président de la République élu sont soumises au vote à la majorité de deux tiers des membres des deux chambres du parlement réunies en congrès suivant la procédure fixée par son règlement intérieur« .

Notons que la procédure prévue pour les poursuites judiciaires ou mise en accusation contre un ancien président de la République, est celle applicable à un Président de la République en fonction.

C’est ainsi que les articles 3 et 38 du règlement intérieur du congrès parlent de vote pour l’autorisation de poursuites, après saisine du procureur général près la cour constitutionnelle.

En effet, la loi du 26 juillet 2018 reconnaît, en son article 6, la qualité de sénateur à tout ancien président de la République.

Par contre pour ce qui est de la procédure de sa poursuite et mise en accusation, cette loi a préférée opté pour la procédure applicable à celle du Président de la République en fonction en lieu et place de celle d’un sénateur qui est prévue par l’article 75 de la loi de 2013 relative à la procédure devant la cour de cassation.

Par conséquent,le juge constitutionnel est donc le juge pénal d’un ancien Président de la République pour les actes commis lorsqu’il fut en fonction.

Ce choix opéré par le législateur se conforme au principe du droit pénal de « Cristallisation de faits et de l’auteur de faits ».

L’ancien président Joseph Kabila sera poursuivi pour des faits commis lorsqu’il fut Président de la République et donc c’est la qualité officielle au moment de la commission de l’infraction qui compte et non la qualité officielle au moment de son jugement.

Cette position est également soutenue par la pratique judiciaire.

En effet, le Procureur général près la cour d’appel de Kinshasa/Matete , avait ouvert un dossier judiciaire contre l’ancien Premier ministre Bruno Tshibala. A la fin de son instruction, il a donc transmis le dossier au parquet général près la cour constitutionnelle pour dispositions utiles.

Actuellement n’ayant aucune qualité officielle, se transfert du dossier signifie qu’il sera jugé en fonction de sa qualité au moment de la commission de l’infraction.

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Joseph Kabila peut-il être jugé pour les faits dénoncés par Mukuna

La République démocratique du Congo a ratifié le traité relatif au statut de Rome, instituant la cour pénale internationale. Ce traité régulièrement ratifié fait partie de l’arsenal juridique congolais et a une autorité supérieure aux lois du pays.

La RDC ayant opté pour une tradition moniste de système juridique,
tout traité régulièrement ratifié par le pays intègre notre arsenal juridique et constitue un seul ordre juridique ensemble avec nos loi et a une autorité supérieure aux lois internes sauf la constitution. C’est ce que dispose l’article 215 de la constitution.

Ce traité de Rome, traite en son article 27 de « défaut de la pertinence de la qualité officielle ». A ce titre, il stipule:

« Aucun auteur des infractions de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de génocide ne peut se prévaloir de sa qualité officielle pour se soustraire de toutes poursuites judiciaires. Aussi les immunités qui sont attachées à cette qualité officielle ne peuvent nullement être évoquées« .

La loi de 2006 portant révision du code pénal, dite la « loi sur les violences sexuelles » traite également, en son article 42 bis, de « Défaut de la pertinence de la qualité officielle ». A son tour, cette loi dispose que :

« Le défaut de la pertinence de la qualité officielle de l’auteur (intellectuel ou matériel) de violences sexuelles ne peut en aucun cas l’exonérer de la responsabilité pénale. Ni les immunités de la qualité officielle de l’auteur ne peuvent être évoquées pour le soustraire de sa responsabilité pénale« .

L’article 9 de la loi du 26 juillet 2018 portant statut des anciens présidents de la République dispose elle aussi :

« En matière de crimes contre la paix et la sécurité humaine commis par tout ancien président de la République élu, les juridictions nationales ont priorité sur toute juridiction internationale et étrangère.« 

Cet article remplace les expressions : Crimes de guerre en crimes contre la paix et les crimes contre l’humanité par crimes contre la sécurité humaine.

En droit congolais, la compétence de reconnaître ces crimes qui relèvent de la CPI est attribuée aux juridictions militaires et que lorsqu’il s’agit de militaires et leurs complices et exceptionnellement aux cours d’appel de juridictions civiles conformément à l’article 91 de la loi de 2013 portant organisation et fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire.

L’article 7 de cette même loi stipule à ce sujet:

 » Tout ancien Président de la République élu, jouit des immunités des poursuites pénales pour les actes posés dans l’exercice de ses fonctions« .

La lecture combinée des articles 7, 8, 9 de la loi de 26 juillet 2018 nous permet d’établir cette conclusion :

  • Pour tout ce qui est des infractions politiques citées par l’article 164 de la Constitution (haute trahison, délit d’initié, atteinte à l’honneur et à la probité) commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, tout ancien président de la République bénéficie des immunités des poursuites pénales totales conformément à l’article 7 de la loi de 26 juillet 2018 portant statut des anciens présidents de la République ;
  • Pour ce qui est des infractions de droit commun commis en dehors de l’exercice de ses fonctions, les poursuites contre tout ancien président de la République sont soumises au vote à la majorité de deux tiers des membres du parlement réuni en congrès ;
  • Pour ce qui est des infractions de crimes contre l’humanité, crimes de guerre, violences sexuelles, commises par un ancien président de la République élu, il y a donc défaut de la pertinence de sa qualité officielle d’ancien Président et toutes les immunités attachées à cette qualité ne comptent pas.

Donc, pour ce qui est des infractions de violences sexuelles, crimes contre l’humanité et crimes de guerre ils ne bénéficient d’aucune immunité ni inviolabilité et il y a défaut de la pertinence de sa qualité officielle d’ancien Président de la République.

Par conséquent, dans la dénonciation de Pascal Mukuna on retrouve plusieurs faits qui sont d’une part relevant des infractions de droit commun, d’autres par des infractions de crimes contre l’humanité, crimes de guerre (que l’article 9 de la loi de 2018 qualifie de crimes contre la paix et sécurité humaine) et donc le juge constitutionnel peut poursuivre facilement l’ancien président Joseph Kabila.

Et si ce dernier demeure complaisant, la cour pénale internationale en tant que juridiction complémentaire peut être saisi ou se saisir pour des faits qui relèvent de sa compétence et juger Joseph Kabila.

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Maître Merphy Pongo
Avocat et consultant en droit constitutionnel
WhatsApp : +243815762731

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