Liberté provisoire pour Kamerhe: vers un État de droit négocié ?

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La constitution du 18 février 2006, telle que modifiée à ce jour, stipule en son article 1 que la République démocratique du Congo est un État de droit. Un État de droit est celui dans lequel les gouvernants-gouvernés se soumettent à la rigueur de la loi (loi prise au sens large).

Mais lorsque la loi est obligée à se soumettre aux caprices des individus cet État de droit est dit « négocié ». Le respect des lois de la République devient préalable aux compromis politiques. Compromis entre des individus qui unilatéralement peuvent décider de respecter ou ne pas respecter la loi.

Une situation similaire à celle du dossier de Vital Kamerhe, Directeur de cabinet du Président de la République. Ce dernier est poursuivi pour détournement de deniers publics dans le cadre du programme de 100 jours.

Le magistrat instructeur du parquet général près la cour d’appel de Kinshasa/Gombe avait décidé de le placer sous mandat d’arrêt provisoire conformément à l’article 27 du code de procédure pénale. Puis il a été présenté en chambre de conseil.

Le tribunal de paix de Matete conformément à l’article 30 du code de procédure pénale, a confirmé sa détention préventive pour une durée de 15 jours. Cette ordonnance a été également confirmée en appel par le juge du Tribunal de grande instance de Kinshasa/Matete. Ce, après plusieurs demandes de mise en liberté provisoire introduites par ses avocats.

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De la transmission du dossier Kamerhe au Tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe

Le magistrat instructeur Kisula du parquet général près la cour d’appel de Kinshasa/Matete, après avoir rassemblé les éléments de preuve, convaincu de l’existence des infractions à charge de Vital Kamerhe et après avoir librement et indépendamment l’opportunité de poursuites conformément aux articles 9 et 44 du code de procédure pénale, ce magistrat du parquet général près la cour d’appel de Kinshasa/Matete a fixé l’affaire devant le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe.

L’article 53 du code de procédure pénale donne pouvoir au magistrat de communiquer les pièces du dossier répressif au tribunal compétent.

L’acte par lequel,le magistrat saisit le tribunal compétent pour connaître l’affaire ( dans le cas d’espèce le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe) s’appelle , « la requête aux fins de fixation de date d’audience ». C’est ce qui ressort de la lecture de l’article 23 al2 de l’arrêté d’organisation judiciaire du 20 août 1979.

Saisit par cette requête aux fins de fixation de date d’audience, le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe a donc fixé l’affaire Vital Kamerhe pour ce 11 mai 2020.

En principe, le procès devrait avoir lieu dans les locaux habituels du tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe situés dans l’enceinte du palais de justice. Mais en raison de la pandémie à Corona virus, l’audience aura lieu à la prison centrale de Makala.

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Kamerhe peut-il être libéré provisoirement avant la date de son audience publique ?

En droit, la liberté est la règle et la détention est l’exception.

L’article 67 du code de procédure pénale reconnaît au juge saisi de prendre toute mesure nécessaire à l’encontre de l’inculpé avant même le jour de sa première audience.

Concrètement, conformément à cet article du code de procédure pénale, Vital Kamerhe ne peut bénéficier de la liberté provisoire avant son audience que lorsque ce dernier à travers ses avocats saisi le Président du tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe. Ce dernier va librement et indépendamment apprécier de la nécessité d’accorder la liberté provisoire ou pas.

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Quand le conseil de ministres viole l’article 151 de la constitution

Lors du compte rendu du conseil de ministres tenu ce 04 mai par vidéo conférence, le point 5 relatif aux mesures de désengorgement des prisons il a été libellé :

 » Parmi les pistes explorées, il y a la voie à la liberté conditionnelle et provisoire à accorder aux personnes privées de liberté mais ne présentant aucun risque à l’instar du directeur de cabinet du chef de l’État.
A l’issu de ces discussions, le conseil de ministres a instruit le Vice-premier ministre et ministre de la justice de prendre immédiatement en concertation avec le ministre de droits humains de mesures de désengorgement urgent de prisons avec les concours de services judiciaires compétents ».

De ce point 5 du compte rendu du conseil de ministres on retient :

  • Pour de raisons de la pandémie de Corona virus, il faut désengorger les prisons congolaises;
  • Le conseil de ministres cite nommément et expressément le directeur de cabinet du chef de l’Etat comme premier bénéficiaire de cette mesure ;
  • Le conseil de ministres instruit le Vice-premier ministre et ministre de la justice de prendre des mesures urgentes avec les concours de services judiciaires compétents.

Ce conseil de ministres a énergiquement énervé l’article 151 de la constitution qui stipule:

« Le pouvoir exécutif ne peut donner d’injonctions au juge dans l’exercice de sa juridiction, ni statuer sur les différends, ni entraver le cours de la justice, ni s’opposer à l’exécution d’une décision de justice ».

Non seulement par ses instructions données au Vice-premier ministre et ministre de la justice, le conseil de ministres ( représentation du pouvoir exécutif) entend donner des injonctions au pouvoir judiciaire quant à ce qui est de la liberté provisoire à accorder à Vital Kamerhe dont l’affaire est déjà fixée au 11 mai 2020.

Mais aussi, le conseil de ministres s’octroie les compétences du pouvoir judiciaire en statuer sur le cas de Vital Kamerhe et de conclure que ce dernier ne constitue aucun risque dans la bonne administration de la justice une fois si on lui accordait la liberté provisoire.

Un tel comportement d’un conseil de ministres ne trouve aucun fondement dans un État de droit tel que voulu par l’article 1 de la constitution. Cela constitue plutôt les frasques de l’instauration d’un Etat de droit « négocié ».

D’autant plus que la séparation de pouvoirs constitue un rempart contre l’arbitraire et l’abus du pouvoir.

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Maître Merphy Pongo
Avocat et consultant en Droit constitutionnel
WhatsApp :+243815762731

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