Lutumba Simaro: focus sur un poète intergénérationnel

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«Mokolo nakokufa, nkake ekobeta, Tshitatshima y’olobelaka bato maloba na nga ya suka. Moto na nga bakamata basala monument.
Soki mopaya aye, balobela ye sango oh »,
prévenait Simon Lutumba Ndomanueno dit « Simaro Lutumba Masiya » dans Mabele

Tel un testament, cette chanson, vieille de plus de 3 décennies, annonçait déjà les dernières volontés de ce parolier hors pair.

Oui que les tonnères déchirent le ciel et que retentissent les cors, car Simaro Lutumba «le poète» le mérite.

A travers ses compositions, il a su traverser les générations. Agrémentant les amoureux de la bonne musique des mélodies exquises.

Lorsqu’il interprète une de ses chansons, Papa wemba chante ceci: «Télégramme eeeh, maloba mukuse… » Maloba mukuse: Poète akufi!
Effectivement ce qui n’était que chanson et prémonition, est devenue, aujourd’hui, une réalité.

Le poète Lutumba Simaro n’est plus de ce monde.

Il est mort ce samedi à 3 heures du matin à Paris.

Il s’y été rendu pour un suivi médical depuis plus de deux mois déjà.

Sa mort a été confirmée à capsud.net par son manager Willy Taffar.

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Un homme social et trop jeune pour son âge

C’est comme ça que le qualifie Ange Mfundu, une de ses ex danseuses.

Pour elle, Papa Lutumba portait bien son nom de Papa. Il l’était non par son âge mais aussi dans sa vie quotidienne.

 » Il nous prodiguait des conseils à chaque fois et ne se lassait jamais pour ça, » déclare-t-elle.

Papa Lutumba savait mettre les gens à l’aise.

« De fois, on ne savait pas qu’il était si vieux et âgé, on se sentait très jeune avec lui. Capable de vous sortir des blagues à rire aux éclats et vous faire pleurer avec des paroles très dures pour vous redresser si vous commettez un bévue, » a indiqué Ange Mfundu.

Et d’ajouter:

« Le plus grand souvenir que j’ai de lui ce sont les voyages.
Lorsque vous voyagez avec lui. Vous êtes tous logés au même enseigne.
Il ne fait pas de différence dans le logement et dans la restauration. Vous êtes avec lui ensemble.
De fois il vous montre l’argent de production et dit: voilà combien ils nous ont donné. Prenez et partagez entre nous. »

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Un parcours exceptionnel

Lutumba est un guitariste talentueux et un compositeur exceptionnel.

Ancien sociétaire du TP OK Jazz de Luambo Makiadi et leader du Groupe Bana OK.

Né le 19 mars 1938 à Kinshasa, c’est aussi le 19 mars 2018 dans la même ville qu’il a décidé de raccrocher définitivement avec l’art d’Orphée.

Il décide alors de confier la gestion de son groupe à un plus jeune, Manda Chante, lui-même leader d’un autre orchestre  » Wenge Référence ».

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Bras droit et fidèle ami de Luambo

Ancien employé de la SEDEC (Société d’entreprise commerciale du Congo belge), il a été surtout le bras droit et le fidèle des fidèles du Grand Maître LUAMBO Makiadi Franco.

Collaborateur loyal et ami proche de Luambo jusqu’à la fin.

Sa guitare, il apprend auprès de Kalonji, un guitariste congolais adepte du « zebola» (un possédé).

Il s’agit d’un rythme et d’une danse des cérémonies d’exorcisme du peuple Nkundu de l’Equateur (Congo).

En 1958, il débute professionnellement à la guitare rythmique dans l’Orchestre Micra Jazz.

Un an plus tard, il rejoint le Congo Jazz de Gérard Madiata avec lequel il enregistre « Simarocca» (label Esengo), un titre passé inaperçu.

Il s’illustrera avec « Muana etike » et « Lisolo ya ndaku », deux compositions teintées de spiritualité.

Sa popularité naissante arrive bientôt aux oreilles de Franco & l’OK Jazz qu’il rejoint en 1961.

Simaro Lutumba y apporte sa touche personnelle.

Sa technique de guitare est inspirée du zebola, de la rumba, du jazz et de l’afro cubain.

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Parolier, compositeur et poète intergénérationnel

Il compose des chansons poétiques, éducatives et pleines de spiritualité.

A la sortie de « Okokoma mokristo » (1969) et « Ma Hélé » (1970), deux chansons moralisatrices sur l’amour déçu, la stérilité et le divorce.

Les talents d’auteur, compositeur, guitariste et chanteur de cet intellectuel reconvertit dans la musique sont enfin reconnus par ses pairs.

S‘ensuivent plusieurs morceaux écrits entre 1971 et 1973.

Mais il faut attendre 1974 et la composition de « Mabele » (Ntoto) qui veut dire la terre pour enfin connaitre le succès.

Une rumba mélancolique aux variations jazz interprétée par Sam Mangwana.

Mais ce franc succès provoque l’ire de Franco qui décrète, de peur qu’on lui fasse de l’ombre, de jouer uniquement ses propres compositions en concert.

Les années de vache maigre de Simaro Lutumba prennent fin en 1984 avec la parution de « Maya».

Il s’agit d’un album rumba / soukouss interprété par le jeune Carlito Lassa. Ce qui le remet aussitôt sur le devant de la scène.

En 1986, il écrit « Cœur artificiel », un thème sur les relations humaines chanté en duo par Pépé Kallé et Carlyto Lassa. S’ensuit « Testament ya Bowule », etc.

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De Ok jazz à Bana ok

Après la disparition de Franco survenue le 12 octobre 1989, le groupe décide, d’un commun accord avec la soeur du défunt, Marie Louise Akangana, de verser 30% des recettes aux héritiers qu’elle représente.
Les 70% restants allant à l’administratif, aux techniciens et aux musiciens.

Sous la présidence de Simaro, le TP OK Jazz réalise, entre 1990 et 1993, plusieurs spectacles et tubes.
Les évènements douloureux vont bientôt mettre un terme à cette harmonie.
Simaro Lutumba décide de mettre fin à sa collaboration avec le TP OK Jazz après 37 ans de services dans cet orchestre.

Le 30 janvier 1994, il fonde l’orchestre Bana OK – entendez les “enfants de l’OK (Jazz).
Il est en compagnie de Josky Kiambukuta et Ndombe Opetum. Leur premier disque, Bakitani, est une reconnaissance de l’héritage de Franco et du TP OK Jazz. Sortent ensuite Cabinet Molili puis Faute ya commerçant, deux albums rumba odemba / soukouss fidèles au style de Franco.

Après la parution, en 1998, de Toucher jouer et Trahison (réalisé avec Pépé Kallé), Bana OK fait une tournée européenne (France, Belgique). Ses albums, “Ingratitude” et “Tonnerre Show” (1999) laissent entendre de la rumba, du soukouss, voir du ndombolo.

Ils sont accompagnés d’une orchestration originale, avec des riffs de guitare aux couleurs jazz et parfois rock.

Ses textes poétiques sur les réalités socio-économico-politiques des Africains lui confèrent le statut de chroniqueur social, de journaliste et d’historien.

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La RDC n’a pas attendu sa mort pour l’honorer

Déjà une avenue porte son nom dans la commune de Lingwala où il a sa résidence. L’avenue Mushie s’appelle désormais avenue Lutumba Simaro.

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Thierry Bishop Mfundu

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