Alors qu’il s’exprimait pour la première fois après avoir obtenu le prix Nobel de la paix, le docteur Denis Mukwege en était ému jusqu’aux larmes.
« J’ai été témoin des crimes de guerre commis contre les femmes, les jeunes filles, les fillettes, les bébés (…). Cette violence qui est commise sur leurs corps se passe non seulement dans notre pays, la République Démocratique du Congo, mais également dans plusieurs autres pays », a-t-il dit au cours de la conférence de presse organisée à l’Hôpital Général de Panzi, dans la commune d’Ibanda, à Bukavu.
Cette déclaration prend l’exacte contre pied de la déclaration faite par le professeur Eddie Tambwe, qui a rendu un vibrant hommage au prix Nobel congolais.
L’intellectuel congolais estime que ce prix Nobel est mérité d’autant qu’il est le résultat des multiples problèmes qu’à connu la RDC après avoir ouvert ses frontières aux réfugiés rwandais en 1994.
Hommage au compatriote Denis Mukwege, qui a tant lutté contre ce drame qu’a subi le Congo pour avoir accepté d’accueillir sur son sol plus de deux millions de réfugiés rwandais en 1994… Fait exceptionnel dans l’histoire internationale des migrations. La « communauté internationale », hypocrite, ne le relève pas assez (Eddie Tambwe).
L’histoire ne change pas
Le professeur Eddie Tambwe a juste rappelé et contractualisé les faits qui ont concouru à la remise de ce prix , combien prestigieux.
Est-il que ce n’est pas un cadeau mais bien un mérite qui doit sûrement revenir à tous les congolais dont Denis Mukwege n’est que l’échantillon représentatif.
Pourquoi tous?
En 1994, l’avancée victorieuse du FPR de Paul Kagame au Rwanda provoque un exode massif de Rwandais hutus vers la Tanzanie (600 000) et vers le Zaïre (un peu plus d’un million).
Quand le FPR prend le pouvoir, en juillet 1994, la guerre n’est pas pour autant terminée car l’exode massif vers le Zaïre était un acte de guerre pour ceux qui encadraient ce départ.
Ces derniers sont des membres de l’armée et de l’administration territoriale rwandaises, parmi lesquels beaucoup avaient dirigé localement le génocide ou ne s’y étaient pas opposés.
La peur d’être tuées par les*forces du FPR était, pour les populations, un puissant mobile de fuite, cette peur a été canalisée, encadrée, y compris par la force et les menaces, ce qui a produit l’exode de juillet 1994 et le passage en masse des frontières.
La communauté internationale (le Conseil de sécurité, les États qui comptent, les organes des Nations Unies) a alors accepté que les camps des exilés rwandais soient établis puis fixés à proximité de la frontière entre le Congo et le Rwanda.
Elle n’a pas non plus séparé “ les responsables politiques de l’ancien gouvernement rwandais, les militaires et les miliciens ”, ceux qui étaient armés, du reste de la population civile des camps.
Les premiers n’étant pourtant pas en principe inclus dans le mandat du HCR. Elle n’a pas désarmé ceux qui auraient dû l’être et qui avaient recours à la violence pour empêcher le retour de leurs compatriotes.
Les camps s’installent donc dans la durée. Ce sont à la fois des lieux d’asile pour d’authentiques réfugiés et des bases de pouvoir pour les dirigeants et les éléments armés engagés dans une logique de guerre contre le Rwanda.
De fait, les camps de Rwandais hutus au Kivu sont attaqués à l’automne 1996, c’est le début de la guerre qui conduira à la chute de Mobutu.
Durant l’automne 1996, tous les camps à l’Est du Congo sont attaqués par l’armée rwandaise.
Depuis lors, l’Est de la RDC a connu le plus grand génocide ignoré du monde: des tueries, des massacres, des viols des femmes, etc. Les chiffres parlent de plus de 6 millions de morts et ça continue en ces jours.
Cette situation a fait naître des vocations telle celle du Docteur Denis Mukwege qui vient de recevoir la reconnaissance universelle.
Tout cela par ce que la RDC a posé le plus grand geste humanitaire de toute l’histoire de l’humanité : laissez passer plus de 1000.000 des personnes sur son terrain avec armes et bagages.
Et chaque congolais depuis souffre de cette situation. Alors que l’Union européenne empêche des naufragés d’atteindre ses côtés et ferme de plus en plus ses frontières.
L’hypocrite communauté internationale
Ainsi les propos de Denis Mukwege rejoignent ceux du professeur Eddie Tambwe du fait que ce prix qui a le mérite de reconnaître ces drames est un prix vers la réparation.
« Ce prix Nobel traduit la reconnaissance de la souffrance et le besoin d’une réparation juste en faveur des femmes victimes de viols et violences sexuelles dans tous les pays du monde et sur tous les continents (…). C’est un pas important vers cette réparation tant attendue que nous devons tous aux victimes dans les zones de conflits armés », a-t-il déclaré.
Ainsi, la communauté internationale doit aussi reconnaître la souffrance qu’elle a occasionné au peuple congolais en évitant aujourd’hui de s’ériger en donneur des leçons.
Thierry Bishop Mfundu