Corneille Nangaa ou la chronique d’un simulacre d’élections démocratiques

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Nangaa Incendie à la CENI

Invité de Rfi Afrique le vendredi 22 Juin 2018, le Président de la CENI a fait une sortie médiatique remarquée qui mérite un décryptage.

Sur le fond comme sur la forme, beaucoup pourrait être dit sur cette interview qui a laissé transparaître une certaine nervosité de M. Nangaa. Mais nous nous limiterons à analyser quelques questions de fond de cette interview.

 

Les machines à voter et la sécurité des scrutins mises en cause

Interrogé sur la sécurité du vote électronique par machines à voter (possibles hackages des codes QR conduisant à l’identification des électeurs et donc à la violation du secret du vote ; facile altération des donnés par changement des puces électroniques), le Président de la CENI botte en touche et fait croire que ses machines ne sont pas concernées par ces dangers réels. Il balaie aussi d’un revers de la main l’audit des machines à voter dont il réaffirme d’autorité l’utilisation lors des élections en préparation.

A propos des audits, rappelons que c’est la CENI elle-même qui a inscrit l’audit du fichier électoral sur son calendrier et annoncé celui des machines à voter par les britanniques, visiblement comme alternative au comité d’experts internationaux de l’UA, de l’OIF, de l’ONU et de l’UE qui gênait les autorités congolaises.
Les raisons de ce revirement nous semblent liées à l’effet inattendu de la dénonciation des anomalies du fichier électoral par le rapport d’audit de l’OIF.

Mais dans le fond, à quoi aurait vraiment servi un audit des machines à voter, quand on sait que c’est plus le facteur humain qui pose problème ? Au-delà des aspects techniques (failles du système), les machines à voter posent 5 problèmes sérieux auxquels M. Nangaa ne répond pas du tout:

a) la complexité de la procédure du vote pour les (cyber-)analphabètes ; b) la non garantie du secret du vote ; c) une observation indépendante quasi-impossible du CNT lors du traitement des résultats (car il n’y aura probablement plus de CLCR), la loi étant restée silencieuse sur ce point ;

d) les éventuelles manipulations humaines (faciles et indétectables) des résultats et e) les difficultés de réunir des preuves matérielles pour les éventuels contentieux électoraux (les PV des BVD n’étant pas ceux de la compilation des résultats).

 

Plusieurs anomalies contenues dans le fichier électoral

Quant aux anomalies soulignées dans le rapport d’audit de l’OIF, M. Nangaa préfère retenir les 3 adjectifs attribués à son fichier : inclusif, exhaustif et actualisé. Il minimise les anomalies et annonce l’affichage prochain des listes électorales comme panacée aux divers problèmes soulevés.

Nous allons nous contenter de rappeler ici les principaux problèmes que pose le fichier électoral actuel et qui ne seront pas résolus par le seul affichage des listes électorales.

 

Des millions des cartes d’électeurs illégales en circulation

Il existe 7 498 345 cartes d’électeurs illégales en circulation. Ce chiffre englobe les doublons et les mineurs radiés ainsi que les mineurs qui n’atteindront la majorité qu’après le 23 décembre 2018 et les cartes non retournées à la CENI. Toutes ces personnes détentrices des cartes sont susceptibles de voter illégalement sur la liste d’omis. La solution serait d’invalider toutes ces cartes et de les récupérer ou d’exclure toute possibilité de vote sur la liste des omis.

 

Un grand nombre des mineurs toujours sur le fichier électoral

Les 498 345 mineurs toujours présents dans le fichier électoral et qui n’auront pas atteint 18 ans au 23 décembre 2018, doivent aussi être radiés des listes électorales pour la présidentielle, les législatives et les provinciales. Ramené au quotient électoral national, ces mineurs constituent à eux seuls 6 sièges des députés nationaux qui ont été indûment attribués.

 

6.647.583 enrôlés sans empreintes digitales

Un doute persiste sur les 6 647 583 personnes enrôlées sans aucune empreinte digitale. A la difficulté d’effectuer un dédoublonnage à cause de l’impossibilité de comparer les empreintes inexistantes s’ajoute le doute sur l’effectivité de ces électeurs potentiels. Pour résoudre ce problème, nous proposons une publication séparée des listes des personnes sans empreintes digitales afin de permettre, ce faisant, une vérification réelle au niveau des communautés. Dans les listes générales, personne ne pourra détecter les électeurs ne disposant pas d’empreintes digitales.

 

Augmentation injustifiée de l’électorat dans certaines provinces

Il y a par ailleurs des provinces qui ont connu une augmentation injustifiée de leur électorat après les opérations de dédoublonnage qui, par principe, diminuent le nombre d’électeurs : C’est le cas de la Tshopo (+ 74 761), du Kwilu (+ 37 230), du Kasaï-Oriental (+ 37 172), du Sud-Ubangi (+ 25 769), de la Lomami (+ 14 292), du Mai-Ndombe (+ 11 966) et du Sud-Kivu (+ 11 421).

Voila autant de problèmes qui nécessitaient des réponses précises du Président de la CENI plutôt qu’une dérobade qui ne rassure pas l’opinion.

Mais peut-être que M. Nangaa oublie que son premier rôle, en tant que Président d’une institution d’appui à la démocratie, est de créer la confiance de la population et d’autres parties prenantes dans le processus électoral.

À l’allure où vont les choses, M. Nangaa est en phase d’organisation d’un simulacre d’élections ouvertes, mais dont les résultats sont écrits à l’avance. Tout est fait pour pousser l’opposition, la vraie, au boycott et assurer au Pouvoir une victoire inscrite dans la logique du « je gagne ou je gagne ».

L’interview sur Rfi représente, à n’en point douter, le coming out de M. Nangaa au service du Pouvoir. Il a une mission précise qui ne lui permet pas de se préoccuper des questions de confiance ou de crédibilité des élections qu’il organise.

 

Alain-Joseph LOMANDJA
Doctorant et analyste des questions électorales

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