C’est un de ces monstres du Loch Ness de la République démocratique du Congo : le port en eaux profondes de Banana. Un projet qui est sur la table du gouverement congolais depuis de longues années, un projet qui aiguise bien des appétits chez des opérateurs économiques pas toujours très scrupuleux pour lesquels la situation politico-économique de la RDC n’a guère d’importance.
« Alors que la répression en RDC s’intensifie et que des violations des droits de l’Homme sont commises quotidiennement, des multinationales et des hommes d’affaires étrangers s’accommodent de la situation pour continuer à s’enrichir », a expliqué Henri Thulliez, membre du Conseil d’administration de PPLAAF (la Plateforme de Protection des Lanceurs d’alerte en Afrique). « La stratégie du chaos que serait en train de mettre en place un président qui s’accroche au pouvoir, ne semble pas refroidir les ardeurs lucratives de certaines sociétés ».
Le projet de construction de port en eaux profondes à Banana, dans la province du Kongo central, a fait l’objet d’un protocole d’accord le 9 février 2017 entre le gouvernement de la RDC et la société Dubaï Port World (DPW).
Dubaï Port World est un des acteurs majeurs de ce secteur, puisqu’il s’agit du troisième plus grand opérateur mondial de terminaux conteneurs présent dans le monde. Il gère aujourd’hui plus de 60 terminaux dans le monde.
Au moment de la signature de ce protocole d’accord, une source proche du dossier révélait quelques données économiques autour de ce projet. Le coût des travaux est ainsi évalué à 600 millions de dollars américains. Ce terminal aura une capacité d’accueil de 332.000 containers par an et plus de 1,3 million de tonnes de marchandises chaque année. A moyen terme, ce projet envisage la construction du chemin de fer de 142 Km entre Matadi et Banana et 144 Km de route reliant Boma et Moanda. Ce projet socio-économique pourra générer 2.000 emplois directs sans compter des emplois indirects aux populations du Kongo central, des marchés aux sociétés de sous-traitante, ainsi que des impôts et taxes que l’Etat pourrait prélever autour de l’ensemble de ces opérateurs commerciaux.
Aujourd’hui, le gouvernement congolais, selon le compte-rendu du conseil des ministres du 24 février dernier, est sur le point de définitivement ratifier cet accord. La signature finale est en effet attendue lors du prochain conseil des ministres congolais.
Une imminence qui a poussé la Plateforme de Protection des Lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF – présidée par l’avocat français William Bourdon), nourrie en « documents échangés entre les négociateurs » par « plusieurs lanceurs d’alerte ayant suivi les négociations entre la RDC et DPW » à rendre publique des échanges entre les négociateurs et notamment des avant contrats, ainsi qu’une description de la structure que les parties comptent créer.
« Une fois encore des lanceurs d’alerte indignés par la perspective d’enrichissements personnels ont décidé de révéler les dessous des négociations entre la RDC et une multinationale pour que cessent ces malversations », a déclaré William Bourdon. « Il est évident qu’un port en eau profonde sur la façade Atlantique pourrait bénéficier à la RDC, mais certainement pas s’il est pensé à des fins de détournements plutôt que pour l’intérêt général ».
Kabila ou un de ses proches
Selon les informations diffusées ce vendredi, une joint-venture de droit congolais doit être constituée entre DPW et la RDC pour la construction et la gestion du port. Rien d’anormal à ce stade. Là où le doute s’installe, c’est quand on constate que « la partie congolaise ne sera pas représentée par une des administrations publiques existantes et légitimes, mais par une société inconnue dont près de la moitié pourra appartenir à une personne privée », peut-on lire dans les documents dévoilés lors de la conférence de presse parisienne.
De la même manière, toujours selon les informations dévoilées par PPLAAF ce vendredi, « la gestion du port sera assurée par une société créée pour l’occasion et qui appartiendra à 60% à DPW et à 40% à un « Privé RDC ». Un « Privé RDC » qui, selon les lanceurs d’alerte « n’est autre que le président Joseph Kabila ou une personne de son entourage proche ».
La promesse du Sultan
Un « Privé RDC »qui pourrait empocher plus de 45,3 millions de dollars en sept ans. Et les lanceurs d’alerte produisent ici un échange de courrier entre le PDG de DPW, le Sultan Ahmed Bin Sulayem, et le président Joseph Kabila. Lettre qui indique que cette clause était une condition sine qua non pour que le pouvoir congolais accepte d’entrer en négociation.
Ce n’est pas la première charge du PPLAAF contre le président hors mandat Joseph Kabila et son régime. En juillet dernier, elle avait notamment montré comment 42 millions de dollars de la Banque centrale congolaise avaient été détournés par la société privée EGAL pour notamment permettre l’achat d’animaux sauvages au bénéfice de la Ferme Espoir, une société appartenant à Joseph Kabila.
Hubert leclerq/ La libre Afrique
Article disponible sur https://afrique.lalibre.be/16128/rdc-accusations-de-corruption-autour-du-projet-de-port-en-eaux-profondes-de-banana/